Vladimir Poutine dresse le bilan de l'année 2025
Le 19 décembre 2025, Vladimir Poutine a prononcé son traditionnel discours de fin d’année — une intervention marathon de plus de quatre heures pendant laquelle, répondant à 77 questions parmi les millions soumises par les citoyens russes, le président a dressé un bilan de l’année écoulée, centré sur le conflit en Ukraine, la situation économique et sociale du pays et les relations tendues avec l’Occident. Une allocution qui, au-delà du catalogue de politiques publiques, révèle les priorités du Kremlin et une vision somme toute cohérente pour la Russie.
La guerre (et la paix ?)
La question ukrainienne s’est imposée d’emblée et a servi de cadre à tous les échanges. Vladimir Poutine a réaffirmé que le déclenchement des hostilités était une réponse à ce qu’il a décrit comme une guerre menée par Kiev contre les républiques séparatistes du Donbass. Il a répété la disponibilité de la Russie pour des négociations, insistant sur la nécessité d’éliminer les « causes profondes » du conflit et rappelant les conditions posées par Moscou en juin 2024.
Sur le plan militaire, le président a présenté un tableau de succès opérationnels. L’initiative stratégique appartiendrait désormais entièrement aux forces russes. Il a énuméré les avancées territoriales avec précision : la prise de Seversk, les progrès vers Krasny Liman et Konstantinovka dans l’agglomération de Sloviansk-Kramatorsk, la traversée de la barrière fluviale à Huliaipole dans la région de Zaporijjia, le contrôle de Vovchansk et Kupiansk au nord. Il a ensuite invité Naran Ochir-Goryaev, le commandant de la prise de Seversk, à témoigner en direct – une première dans ce format.
En ce qui concerne la logistique, Poutine a concédé un « certain déficit » en drones lourds de type « Baba Yaga », tout en assurant que leur production était accélérée et que le ministre de la Défense en supervisait personnellement le dossier. Il a affirmé que la Russie conservait une supériorité globale en nombre de drones. Concernant les effectifs, il a annoncé que plus de 400 000 volontaires avaient signé un contrat cette année et que l’engouement pour les troupes de drones était tel que le ministère devait organiser des concours d’entrée.
L’économie entre croissance maîtrisée et réforme fiscale
Poutine a dressé un tableau en demi-teinte de l’économie russe. La croissance du PIB serait de 1% en 2025, portant la croissance sur trois ans à 9,7% – un chiffre qu’il a comparé aux 3,1% de la zone euro sur la même période. Ce ralentissement serait volontaire, lié à la lutte contre l’inflation, elle-même ramenée à 5,7-5,9%, proche de l’objectif de 6%. La production industrielle aurait progressé de 1%, l’agriculture de 3,3%, tandis que la construction de logements marquait un léger recul.
Les salaires réels auraient augmenté de 4,5% et le chômage serait tombé à un niveau record de 2,2%. Le déficit public serait contenu à 2,6% du PIB cette année, avec un objectif de 1,6% en 2026. Poutine a souligné le faible niveau de la dette publique russe comparé aux autres économies développées.
La hausse de la TVA à 22% prévue pour 2026 a été justifiée comme « la manière la plus honnête et transparente » d’atteindre l’équilibre budgétaire sans pousser l’économie dans l’ombre. Cette accroissement de la pression fiscale serait transitoire.
Parallèlement, une réforme de la fiscalité des petites entreprises visant à rationaliser ce secteur a conduit à un échange avec le propriétaire d’une boulangerie des environs de Moscou, inquiet de la fin des avantages fiscaux pour les indépendants. Poutine a répondu que ces mesures visaient à lutter contre les abus permis par le régime antérieur.
Les questions sociales ont occupé une large place. Interrogé par un enfant sur la hausse des prix à la cantine, Poutine a reconnu que les « chiffres moyens » masquaient souvent les réalités vécues. Il a détaillé les mesures de soutien aux familles, comme le remboursement de 7% de l’impôt sur le revenu pour les foyers modestes à partir de janvier 2026, tout en admettant que ces efforts restaient insuffisants. Il a chargé le gouvernement d’étudier l’extension des allocations familiales jusqu’aux trois ans de l’enfant et a encouragé les régions à développer les crèches.
Il a insisté sur l’objectif de porter le taux de fécondité à au moins deux enfants par femme, notant une dynamique déjà positive dans 25 régions.
La question des infrastructures a aussi été soulevée, notamment les problèmes d’approvisionnement en eau dans les territoires du Donbass, où les pertes dans les canalisations peuvent atteindre 50%. Poutine a lié la résolution complète de ce « blocus de l’eau » au contrôle militaire de la zone située au-delà de Sloviansk.
Des investissements massifs dans des projets comme le synchrotron SKIF de Novossibirsk, le soutien à l’industrie aéronautique, et surtout le développement du « cluster Angara-Ienisseï » pour la transformation en profondeur des terres rares ont témoigné d’une politique industrielle ambitieuse et de long terme.
Poutine a néanmoins reconnu les « problèmes assez aigus » de l’aviation civile russe, encore trop dépendante de technologies militaires et a vanté le MS-21 comme un avion « compétitif » sur le marché international, tout en appelant à relancer la production d’avions cargo comme l’An-124 « Ruslan ».
Pas du vol, du pillage !
La partie du discours sur les relations internationales a été sans concession. Évoquant les projets européens de confiscation des actifs russes gelés, Poutine a corrigé le vocabulaire : « Ce n’est pas du vol. C’est du pillage. » Il a averti que les conséquences pour les « pillards » seraient lourdes, alourdissant leurs obligations financières et sapant la confiance dans le système financier européen.
Réagissant aux déclarations du secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg sur une préparation à la guerre avec la Russie, Poutine a ironisé : « Mais savez-vous lire ? Lisez la nouvelle Stratégie de sécurité nationale des États-Unis. » Il a pointé le fait que ce document ne désigne plus la Russie comme un ennemi, mettant en cause la cohérence de l’Alliance.
Sur un ton plus grave, il a évoqué la possibilité d’un blocus de Kaliningrad, une hypothèse qui mènerait selon lui à une escalade « extrêmement dangereuse et sans précédent », pouvant dégénérer en « affrontement armé à grande échelle ».
Poutine a par ailleurs décrit le partenariat stratégique avec la Chine comme une relation bilatérale de la plus haute importance, fondée sur des intérêts économiques mutuels et une vision géopolitique partagée. Dans le voisinage immédiat, il a présenté l’État d’union avec la Biélorussie comme une union profonde, fraternelle et stratégique. L’engagement via des forums multilatéraux, comme le « KazanForum » (probablement le Forum économique international « Russie – Monde islamique ») a aussi été évoqué avec fierté.
Souveraineté numérique et éducation
Poutine a salué la création de l’application de messagerie russe Max comme une étape, la dernière, vers une « souveraineté numérique pleine et entière », classant désormais la Russie dans le trio de tête mondial avec la Chine et les États-Unis dans ce domaine.
Sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’éducation, il a prôné l’équilibre, estimant que l’essentiel des apprentissages devait se faire en classe pour garantir le « développement de la pensée ». Il a exclu une interdiction des ressources étrangères d’IA sauf si elles refusaient d’appliquer la loi russe.
Conclusion — un message aux générations futures
Conformément à la tradition, l’entretien s’est achevé par un message aux descendants de la Russie. Poutine a dicté un texte évoquant le « flux infini du temps », la « liaison des époques », et le travail des générations passées qui n’a « pas été vain ». Il a souhaité que les Russes du futur soient « heureux » et que leurs enfants soient « fiers d’eux comme nous, en notre temps, sommes fiers de nos pères, grands-pères et arrière-grands-pères ».
Ce final solennel a clos un exercice de communication visant à projeter l’image d’une Russie ancrée dans l’histoire, résolue à surmonter les épreuves et ferme face à un monde extérieur perçu comme hostile.